Les jeunes Comoriens prisonniers de leurs rêves

La jeunesse comorienne étant gagnée par un profond sentiment de mépris, de mise à l’écart, et de ressentiments atroces aspire à vivre décemment. Les jeunes aux prises avec un quotidien terne et morbide sont pleins d’amertume, de colères, et de révoltes. Ils vivent avec le vain espoir du suicide dans le cœur car ils se sentent être une douloureuse inutilité sociale. En plus, ils n’arrivent plus à supporter leur désespoir et à surmonter leurs angoisses et leurs aliénations face à la machine socio administrative : bureaucratique, laxiste et tentaculaire.

 

1– LES KWASSA KWASSA UN SIGNE FORT DE MAL -VIE Il semble que la jeunesse comorienne dans son ensemble souffre de la déraison collective de la société. En fait, elle vit une complexité impensable qui a fait le lit de ses déceptions. Les rafistolages administratifs, les bricolages économiques, et les colmatages politiques ainsi que les solutions parcellaires prises à la va-vite n’auraient pu venir à bout de ses incertitudes, de ses inquiétudes et de son doute permanent en l’avenir. C’est pourquoi, les jeunes chômeurs désargentés, déconsidérés, et décrédibilisés ont recours à l’exil même au prix de leur vie Nous peinons à comprendre comment certains jeunes en arrivent – ils à se jeter dans des embarcations de fortune surchargées, pour affronter les dangers de la haute mer avec le risque d’une mort quasi certaine. Ils ont même développé une certaine culture justificative de ce macabre espoir: « je préfère être englouti par la mer plutôt que d’être enterré vivant». Il ne peut certainement pas s’agir d’une espèce de retour instinctif à la mer qui s’accommoderait de la théorie qui dit que l’homme, en fait, provient de la vie aquatique. Notre religion et notre culture millénaire insistent, au contraire, sur ce principe universel dans les religions humaines : « De la terre nous sommes issus et à la terre nous reviendrons ». En fait, ces jeunes sont attirés par la terre, mais une autre terre que la leur, d’où leur proviennent mirages, images et témoignages d’un épanouissement possible. C’est un défi à la vie pour se défaire de l’entrelacs quotidien des peines et des espérances. Ce sont des jeunes affamés de vie et assoiffés de liberté qui refusent les indécisions et les incompétences et qui craignent l’engloutissement sous le poids des normes, du refoulement et des tabous. Ce sont également des jeunes qui, livrés à eux-mêmes, repoussent le triomphalisme du passé et rejettent la forfaiture du présent, des jeunes qui n’ont ni d’antériorité ni de postérité mais qui sont contemporains avec eux-mêmes ces noyades répétitives en océan proviennent en premier lieu d’une douleur intérieure très aiguë et d’un désabusement cruel face aux réalités sociales teintes d’amertume. En plus, les jeunes dont les horizons sont bouchés se découvrent prisonniers de leurs rêves de démunis et de leur illusion d’impuissants. Néanmoins, ils sont en rupture de ban avec les réflexes de rétractation, de repli et d’enfermement des élites gouvernantes. Autrement dit, il y a une forte tendance des choses à se corrompre en haut lieu que dans les profondeurs de la société, une certaine volonté malsaine au pourrissement de la situation. Le manque de considération avéré de la tranche juvénile n’engendre que révolte et désagréments. Cela dit, les limbes de détresse s’accroissent davantage au fur et à mesure que la situation sociale se dégrade et que de grosses fortunes fassent leur apparition du jour au lendemain. L’économie de la rente et du Bazar a enraciné dans les esprits le culte de l’argent facile. Pire, elle a poussé à leur paroxysme, les dérives vers l’auto-négation, l’autodestruction, l’absence de sens, le désenchantement et la perte de repères de la jeunesse.

 

2- L’ABSENCE DE RÉGULATION SOCIO-ÉCONOMIQUE : LA CAUSE DU DÉSASTRE Les problèmes structurels de la corruption, la fuite de cerveaux, l’hémorragie des compétences nationales, et le large sentiment d’appauvrissement de la population nourrissent les problèmes conjoncturel et durable de la délinquance, de poches de misères, du banditisme urbain, des candidats aux kwassa kwassa. C’est pourquoi, l’on assiste impuissants au pervertissement des bases sociales du pays, d’autant plus qu’il n’y a pas une stratégie nationale et globale de création d’emplois. Aucune initiative n’est entreprise par le gouvernement pour absorber le spectre du chômage. De plus, tous les services que possède les Comores, la plupart sont budgétivores et dépendent principalement des aides de l’extérieur, et leurs seules ressources n’arrivent même pas à payer leur effectif salarial. D’autre part, la masse estudiantine est un autre enjeu majeur de notre pays, se chiffre en milliers actuellement et les chances d’embauche se rétrécissent chaque année davantage. L’université est malade car elle n’arrive pas à entrer en corrélation avec le tissu économique déjà quasi inexistant. Sur le plan social, l’on note que le cadre associatif est quasiment défaillant. Malgré ses quelques associations, l’architecture de la société civile est démembrée et trop faible car ses relais sociaux ne font plus un travail de proximité efficace auprès de la jeunesse. Celle-ci reste malheureusement sans-voix, prise en tenailles entre la désaffection de son élite et l’incompréhension de la société. Les services concernés censés remédier au désarroi des jeunes touchés par la précarité, le sous-emploi, et le désœuvrement adoptent un profil bas ou tournent autour de l’orbite de la politique partisane. Pire, la plupart d’entre eux sont bloqués par une paralysie structurelle (manque d’enceinte, inexistence ou rareté du matériel, absence de ressources financières, incompétence et inexpérience dans la gestion …). En plus, ces dernières années, le politique aux Comores est fortement décrié et la participation à la vie sociale décisionnaire reste l’apanage de l’ancienne génération. Tout au plus pourrait-on relever la rareté des forums d’alternatives citoyennes (cafés littéraires, cercle de débats, espace de rencontre et d’échange politiques..). Tous ces facteurs sont à l’origine de la bataille pathétique que livre le jeune in solo contre la bureaucratie afin de survivre et apaiser son inguérissable traumatisme faute de lieux de loisirs (cinémas, théâtres, centres culturel). En ce sens, la jeunesse reste cloîtrée dans son tour d’ivoire, et l’épée de Damoclès pendu sur sa tête. Stigmatisé, vu comme la figure de l’échec et un fardeau insupportable, le jeune chômeur ou diplômé chômeur vit en périphérie de la société sans avoir toutefois l’espoir d’exister dans la dignité par le travail revalorisant, de militer et vivre décemment sur le sol de son propre pays. Ainsi la débrouille et les passe-droits prennent le dessus sur le sérieux et la compétence.

 

3- LA DÉFAITE DU POLITIQUE ET LA FAILLITE DES CONTRE-POUVOIRS CITOYENS La corruption est l’ennemi numéro un des Comores et de la jeunesse, elle est manifestement l’un des fléaux les plus dévastateurs de l’économie de notre pays. Les Comores sont, de toute évidence, l’un des rares pays au monde où la corruption a fait de grands dégâts dans le tissu économique d’autant plus que les structures de contrôle étatiques sont quasiment inexistantes. En fait, l’absence de contre-pouvoirs populaires n’a fait qu’empirer davantage la situation tant que le système économique et global du pays est gangréné et le cadre institutionnel est en léthargie constante, la réalité est que le système politique lui-même n’existe que par effraction ; la délinquance contrôle le politique . En effet, l’usure et la faille du pouvoir politique, les petits raccommodages de la constitution, le népotisme, le régionalisme, le piétinement des lois, le poids démographique de la jeunesse et la faiblesse de l’opposition politique a vu l’accentuation et l’aggravation des pesanteurs administratives, de vieux replis bureaucratiques, et de rhumatismes sociaux chroniques. C’est pourquoi l’investissement étranger est au point mort, les initiatives individuelles rares, et la jeunesse se sent démoralisée, piétinée et désespérée. Pire, elle est sous-estimée par les gouvernants « Il n’y a rien de plus dangereux pour l’homme que lorsque naît une situation où il ne rencontre que lui-même » Heidegger, philosophe allemand (1889-1976). Certes, la bonne gouvernance est un élément de base dans la construction de l’État de droit mais dans une société où le taux de la jeunesse dépasse de loin 75%, il est impératif de lui accorder sa part entière dans la gestion des affaires de la Cité en lui ouvrant de nouveaux horizons prometteurs. Ces jeunes refusent de vivre comme une mélasse humaine s’en tient vivement à respirer l’air d’une société fédératrice, humaine et vivante. A cet effet, ils ne doivent pas être des coquillages insignifiants pour épater la galerie ou se cloisonner dans une culture de survie maladive, ils n’ont pas besoin de charité ni de discours démagogues, mais ils ont tout simplement besoin de baigner dans une atmosphère de dignité et de respect. En un mot, ils préfèrent un projet de société qui va garantir leur avenir que de sombrer dans l’auto-négation et le pessimisme ambiant. Leur appel de secours attend un feedback salvateur.

RAHIA IBRAHIM ABBAS MITSAMIOULI

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