Par Houssen Zakaria
- L’importance accrue des titres scolaires dans l’insertion professionnelle et sociale des jeunes amène beaucoup de personnes à s’interroger sur les causes et les effets de l’état de délabrement de notre université, son incapacité à donner aux étudiant(es) une formation permettant à chacun(e) de ces derniers d’intégrer la société où il est appelé à vivre (voir notamment Al-watwandu 17 décembre 2021).
- Pour certains, les causes seraient un manque de moyens et l’accroissement du nombre d’étudiants d’une année sur l’autre ne fait qu’accentuer les problèmes tant constatés. Cette vision technocratique teintée de malthusianisme ne cesse de gagner du terrain avec les processus des renforcements de capacité soutenus par les bailleurs de fonds dont nous connaissons tous l’inanité (1).
- Sans nier cette première approche pour d’autres, le problème est surtout d’ordre pédagogique et notamment le niveau tant intellectuel que scientifique des enseignants. Depuis la création de l’université des Comores, cette approche pédagogico-institutionnelle fait rage et séduit de plus en plus, de par sa rhétorique basée sur le sens commun. « Comment voulez-vous que les étudiants aient un bon niveau alors que le niveau intellectuel des enseignants laisse à désirer. Beaucoup d’entre eux n’ont pas de doctorat. Et s’ils en possèdent, celui-ci n’a pas fait l’objet d’une publication scientifique. Or à l’université ce qui caractérise la profession ceux sont les publications de l’enseignant(e) adossées à ses recherches. À l’université des Comores, les enseignant(es) sont recrutés nonen fonction de leur niveau intellectuel et scientifique, mais parce qu’ils ont le bras long. »
- Si cette approche est défendable, elle soulève néanmoins beaucoup de questions qu’elle n’apporte de solutions. D’abord parce qu’elle érige implicitement ou explicitement le modèle français en champion. Or là aussi, nous savons tous que ce modèle est à bout de souffle. Le fait qu’un enseignant soit noté et progresse dans sa carrière nonen fonction de ses performances pédagogiques, ses capacités à faire avancer les étudiants, mais en fonction de ses publications (de ses poubelles-cation disent certains) tend à rabaisser le niveau, la qualité des cours, entrainant la lassitude, le décrochage des étudiant(es) et notamment celles et ceux du premier cycle.
- Toute personne ayant une expérience tant soit peu significative dans l’enseignement universitaire français sait que les cours c’est le dernier de ses soucis. Il faut certes faire cours en suivant une trame bien définie, mais libre à chacun de s’en approprier, et personne n’y vérifie, puisque l’enseignant bénéficie de la sacro-sainteliberté pédagogique. Il faut publier, c’est ici où l’on passe et doit passer le maximum de temps. On enseigne non pas parce qu’on sait enseigner, mais surtout parce qu’on a publié. Et on publie souvent parce que l’on connaît du monde dans telle ou telle revue prisée dans le champ académique et éditorial (2).
- Les classements internationaux des universités de l’OCDE ne cessent de montrer les conséquences fâcheuses de ces pratiques, soulignant que le modèle français est à la traîne avec son lot d’inégalité (3). Ladite approche pose ensuite question, puisqu’elle tend à séparer l’université, voire l’ensemble des institutions de formation et d’éducation avec les autres champs qui fondent la société. La démarche est systémique, voire herméneutique, oubliant au passage les interactions, les influences entre l’université et les autres champs et notamment le champ politique.
- Comment avoir une université digne de ce nom alors que celle-ci n’a jamais fait l’objet d’un programme politique général d’envergure posant les questions de son identité, de ses fonctions sociales, du rôle qu’elle doit jouer dans la construction de l’identité comorienne, l’être ensemble? Depuis l’inauguration de l’université des Comores en 2003 c’est encore et toujours le régime technico-managérial qui domine le débat relatif à son bon fonctionnement. Et l’ingérence de la France et des autres bailleurs nous enfonce dans cette direction oubliant de nous demander : une université, pour quoi faire ? Et pour quel rôle social ?
- De telles questions sont avant et après tout politique lato sensu, elles dépassent certes le cadre de l’université, mais celle-ci peut et doit participer au débat, car ce qui est en jeu ici c’est la place du savoir dans nos structures sociales, la diffusion de celui-ci de l’école primaire à l’université. Et en envisageant, l’université comme une structure autonome ayant ses propres problèmes sans liens structurels avec le reste, on oublie que c’est une meilleure instruction primaire et secondaire que sortira naturellement le progrès de notre enseignement supérieur, et inversement nos enfants du primaire et du secondaire seront mieux formés que s’ils ont en classe des enseignants eux-mêmes formés dans une université qui dispense une formation universitaire d’élégance intellectuelle, scientifique et morale. L’un ne va pas sans l’autre, d’où l’importance d’un programme politique ambitieux impliquant l’ensemble des acteurs pour définir le cadre général du rôle et de la place du savoir dans nos formations sociales, comment celui-ci peut et doit contribuer à l’émancipation politique et culturelle.
- Le problème de notre université n’est donc pas structurel, mais bel est bien conjoncturel. Elle est prisonnière de la politique relative aux questions liées à l’éducation, au savoir et à l’enseignement mené par les régimes politiques successifs depuis l’ascension du pays à l’indépendance. Elle est prisonnière ensuite des influences aux conséquences fâcheuses que nous subissions directement ou indirectement de l’extérieur. Elle est enfin prisonnière de notre incapacité à amener un travail envers nous-mêmes et contre nous-mêmes pour nous débarrasser des vieux schèmes qu’on a hérités de nos formations universitaires. Et à cet égard, la manière d’envisager et d’enseigner l’histoire dans notre pays est significative. On envisage celle-ci non comme une œuvre d’art en perpétuelle construction reconstruction, mais comme une grosse masse lourde sans élasticité servant à entasser nos idées dans des cartons (l’archive qu’on nous vante tant les mérites).
- Du coup, toute démarche est une construction a prioriou métaphysique mettant souvent le focal sur la chimère de nos origines, sur le côté folklorique de nos traditions, sur la survivance de telle ou telle coutume qui amuse tant les ethnologues toujours à la recherche de la vignette unique. Une telle démarche ne peut rehausser le niveau de notre université et cela, quels que soient les moyens consentis. D’abord parce qu’elle tend à nous enfermer sur nous même en interrogeant peu ou prou nos réalités d’aujourd’hui, les mécanismes sociaux qui produisent ces réalités, notre histoire. Passéiste, événementialise et anecdotique, elle oublie que nos ancêtres ont certes jeté les bases de notre histoire, mais c’est nous qui la construisons au jour le jour par nos actes quotidiens (4). Elle ne peut ensuite rehausser le niveau de notre université, car elle est par essence essentialiste voire, ethnocentrique, et de surcroît mobilise peu la démarche comparative. Il existe peu de travaux historiques comparant tel ou tel angle de notre histoire avec celle des pays voisins. Or ce qui fait la puissance des individus et des générations, c’est la puissance de l’esprit national que ces derniers portent en eux, et cet esprit ne peut devenir une puissance suprême qu’en s’identifiant avec l’esprit des autres peuples. Et dans cette perspective, la démarche comparative est la démarche historique par excellence (5).
1- À ce propos voir Houssen Zakaria, L’aide public au développement. Visées et nouvelles stratégies en Afrique, Ed, L’Harmattan, coll, Questions contemporaines, 2012.
2- Par rapport à ces stratégies de positionnement dans le champ universitaire, voir notamment P. Bourdieu, Homo Academicvs, Ed, de Minuit, 1984.
3- Concernant ces classements internationaux, voir les publications de l’OCDE : AHELO, Une évaluation internationale des performances des étudiants et des universités. Voir PISA les programmes internationaux pour le suivi des acquis. WWW.ocde.org
4- Sur ce point les travaux de Michel de certeau, notamment, L’invention du quotidien. 1. art de faire, Ed, Folio essai, 1990.
5- Concernant la pertinence de la méthode comparative dans les sciences humaines et sociales et