L’échec de la révolution

C’est d’abord l’échec d’Ali Soilihi mais c’est aussi, et peut-être surtout celui du Front Démocratique (FD). Cet échec a fait de notre pays un terrain vague sur lequel les herbes veineuses poussent à vive allure, une nourriture qui tue à petit feu le peuple comorien.

L’échec d’Ali Soilihi

Au lendemain du putsch, le CNR (Conseil National de la Révolution) proclamait son attachement à la France et sa volonté de restaurer les relations entre les Comores et la France qu’Ahmed Abdallah avait mis en danger. On croyait, comme Ali Toihir (Kéké) me l’avait souligné que la question de Maore se réglerait autour d’un verre.

C’était ignorer les pratiques de l’impérialisme français. A la commission franco-comorienne de septembre 1975, l’État français et ses sbires maorais revinrent sur leurs engagements. Maore restait sous domination française et il n’était pas question de revenir là dessus sous aucune forme. Le réveil fut brutal.

Ali Soilihi était furieux. Il dénonça vigoureusement la trahison de la France et celle de Marcel Henry, principal dirigeant du Mouvement Populaire Maorais (MPM). Des spéculations laissent entendre que la disparition du prince Said Ibrahim lui ouvrit la porte de la présidence du pays. Il se fit « élire » Chef de l’État par le CNR et la situation changea du tout au tout.

La France n’était plus l’ami, le partenaire, etc. Elle fut indexée à juste titre comme l’ennemi principal des Comores. Une page nouvelle, pleine de promesse s’ouvrait.

Quelle belle idée le Mudiria ! Elle faisait table rase de l’administration à la française pour une administration proprement comorienne qui se rapprochait des populations, ouvrait des nouvelles perspectives à l’agriculture (financement, distribution, etc.) et mettait un terme à la notion féodale des Midji mihu na mititi.

Quelle audace d’avoir osé s’attaquer frontalement à la notabilité, abolition du grand mariage, libération de la femme ériger en l’égal de l’homme

Que d’initiatives hardies pour modeler un nouveau citoyen : alphabétisation, contre la sorcellerie, la corruption, l’oisiveté, etc.

Pour la première fois, jusqu’ici la seule, le pays était doté d’un plan de développement. Un horizon était tracé.

Enfin et peut-être surtout les conditions de vie des simples gens s’amélioraient sensiblement au plan de la nourriture.

Malheureusement la promesse s’est transformée en cauchemar.

Car en réalité Ali Soilihi n’était pas un révolutionnaire ! C’était un nationaliste radical qui aimait son pays. Il a cru pouvoir jouer au messie. Il était le « mogozi », il traçait la voie et le peuple devait suivre par la trique s’il le fallait. C’est lui seul qui expliquait sa politique dans des discours radiodiffusés. Il ne s’était doté d’aucun relais. Durant ses deux ans et quelques de pouvoir, il n’y avait aucune organisation, ni politique, ni syndicale, etc. Le Mongozi dessinait des orientations séduisantes, les comités et le bawa Mwasi les imposaient par la trique.

Dans sa grande majorité le peuple n’adhéra pas et vécu ces orientations comme de l’oppression.

Son échec devenait inévitable. Car les masses ne sont pas des troupeaux d’ânes que l’on peut faire marcher à coup de cravache. Rien de sérieux ne peut se faire sans l’adhésion des masses, sans leur implication. Sans organisations qui éduquent les masses, portent leurs revendications, défendent la démocratie et la liberté, font rayonner la culture, … pas de révolution.

D’ailleurs Ali Soilihi ne se posait pas en révolutionnaire. Il avait opté pour UFWAKUZI et non MAPIDUNZI. Il avait théorisé son thème de prédilection et l’avait décliné dans les différents sphères de l’activité sociale Ufwakuzi wa maesha, wa siasa, wa usawa ya maesha, etc.

Or Ufwakuwa évoque un acte alliant violence, ruse, surprise pour dépouiller quelqu’un. On est loin de Mapidunzi qui met plutôt l’accent sur renversement, transformation, révolution. Les talents oratoires d’Ali Soilihi ont conféré dans l’esprit des gens le sentiment qu’Ufwakuzi et Mapidunzi étaient synonymes. Comme si coup d’État et révolution étaient de même nature.

La réaction revenue au pouvoir n’a eu aucun mal à effacer toute trace des quelques acquis du régime Ali Soilihi dont le renversement fut massivement applaudi.

Il est bien évident qu’il faudra revenir sur cette période, en détail, ce qui n’est pas envisageable dans un article.

Le prochain sera consacré à l’échec du FD

POUR RECEVOIR NOS NOTIFICATIONS 

Cet article a 7 commentaires

  1. na.i.mane

    Bonjour,

    Où trouver le plan de développement d’Ali Soilihi ?

    Merci.

  2. DINI NASSUR avait posé la question de l’attitude des révolutionnaires face au régime Ali Soilihi. N’y avait-il pas là une opportunité ratée ? Question pertinente et légitime.
    Y avait-il des révolutionnaires comoriens à l’époque ?
    En 1976, le PASOCO n’existait plus. Les Jeunesses Socialistes (JS), organisation de jeunesse du PASOCO avait commencé à prendre ses distances avec le PASOCO à partir de 1974 avec l’aide de l’ASEC. OMSOMO WA NYUMENI allait naître plus tard. Les JS dirigés à l’époque par Kader s’étaient mis en retrait. Ils n’avaient pas atteint un degré de maturité qui leur aurait permis de faire face à la complexité de la situation. Ils se sont préservés de la répression, ils n’ont pas participé au comité.
    S’agissant de l’ASEC tout concourrait à son positionnement contre le pouvoir Ali Soilihi :
    1- L’ASEC avait toujours considéré UMMA-MRANDA comme un groupuscule terroriste depuis son émergence au lendemain du renversement du prince Said Ibrahim.
    2- L’analyse du putsch du 3 août, outil utilisé pour punir Ahmed Abdallah et son indépendance unilatérale suscitait un rejet ferme
    3- D’autant que ce putsch permit à la France de rendre effectif la séparation de Maore
    Les relations ne pouvaient qu’être tendus.
    Lorsqu’Ali Soilihi rompit avec la France, il était difficile d’y croire. Car Ali Soilihi remit les intérêts comoriens dans les mains du Sénégal de Senghor. Les Comores portèrent plainte contre la France mais ce fut le grand intellectuel Mwinyi Baraka de plaider et non à un militant comme ceux issus du MOLINACO. Résultat la plaidoirie fut un discours d’un haut niveau intellectuel sur les principes de la France éternelle , pays des droits de l’Homme, … et non une dénonciation du piétinement de la Charte de l’ONU, des pratiques de grande puissance malmenant un petit pays. La marche rose apparut comme un coup monté pour prouver au monde que ce sont les Maorais qui ont chassé les Comoriens, les Français n’étant que des défenseurs du droit des peuples (le maorais) à disposer d’eux-mêmes.
    Lorsqu’Ali Soilihi cherchait des enseignants pour combler les retraits des fonctionnaires français, il ne s’est pas adressé à l’ASEC, il n’a pas voulu de guinéens que Sekou Touré (alors symbole de la lutte contre le colonialisme français) mettait à sa disposition mais il a préféré opter pour l’ancêtre de la francophonie.
    L’ASEC dénonçait le pouvoir terroriste et pseudo-révolutionnaire et Ali Soilihi ridiculisait cette association à sec, SHINDRU SHA HUMA.
    On doit cependant notait qu’on ignorait quasiment toutes les initiatives fécondes par manque d’information et par de l’à priori aussi. Il reste qu’on avait mener des enquêtes à travers les camarades en vacance scolaire au pays et il était évident qu’un dirigeant de l’ASEC au pays à l’époque risquait sa vie.
    On peut toujours s’interroger mais il me semble que le fossé était trop grand entre l’ASEC et Ali Soilihi

  3. Hamidou Ibrahim

    Bonjour,
    La période d Ali Soilih, j étais à l école primaire.. Donc j n ai pas la prétention d’apporter une analyse en fonction du vécu.
    Cependant les débats et les discours concernant cette période m’ont toujours passionné.
    J cherche toujours à comprendre la vision du Mongozi. Il était pour « l émancipation et l épanouissement » du peuple mais il le brutalisait
    Les comités villageois étaient les relais du pouvoir central.
    La majorité de ces comités était dirigée par des gens plus ou moins illettrés. Dans les villages les « mahadji Kassim » ou « mabepare », c étaient des paysans, des ‘ouvriers. Donc c était cette couche sociale que le « comité » prenait comme cible. Le Mongozi avait un discours théorique de défense des prolétaires , mais les geôles du commando Moissi étaient remplies par cette catégorie de classe sociale. La catastrophe de Bichioni- Iconi c est aussi les personnes appartenant à cette classe sociale qu elles etaient fusillées: plusieurs morts et nombreux blessés.
    A Mbeni, hormis les gens fusillés, des personnes âgées ont subi la « longue marche » à leur manière. C est à dire ils avaient marché à pieds, entre Mbeni et Moroni en scandant le slogan  » sisi nde mahadji Kassim ya Mbeni ». C était une torture et une humiliation pour ces pauvres paysans.
    Les comités villageois pourraient mettre en péril n importe qu elle personne sur un soupçon. C est souvent des personnes qui ont fait appel à un mgangui ou qui ont accompli une cérémonie de Anda na mila. Ces personnes se retrouvaient au fond d’une puit avec ou San eau selon les saisons.
    Accordez moi la thèse que ce n est pas les personnes instruites qui accordent une importance sur les sorcelleries.?… etc.
    La subtilité du Mongozi !! Je cherche à comprendre simplement.
    Toutefois je peux souligner quelques vertus du Mongozi
    lI luttait contre la maladie qui ronge la nation comorienne: la corruption.
    Je pense que son ultime ambition n était pas ll’enrichissement personnel.
    Il a réussi à gérer 2 crises majeures
    1.L éruption du volcan qui a causé beaucoup de dégâts dans la région de Hambou, principalement à Singani
    2. Le kafa de Mdjangaya. C était un massacre à grande échelle. Je dirais un génocide. On parle de 2000 morts.
    Le Mongozi a réussi à rapatrier 17000 ressortissants. J m interroge si par malheur, un drame pareil se reproduisait .. comment réagiraient elles les autorités actuelles… j vous laisse imaginer le désastre . No comment.
    A bientôt j espère.

  4. ALI

    Bonjour,
    Je suis de ceux et celles qui s’inquiètent pour notre pays mais qui n’osent pas s’exprimer car dans la plupart des cercles de débats, j’ai l’impression que c’est plutôt les cœurs (sentiments) qui s’expriment et non la raison. Et dans ce genre de débat, on refuse les nuances et on bascule rapidement dans les extrêmes, les passions, les insultes voire la violence. J’ai horreur de ça. De votre article et des commentaires qui ont suivi, j’apprécie la rigueur du raisonnement, l’objectivité dans l’analyse et la politesse même dans la divergence des idées. J’étais très jeune pendant la période soilihiste et je ne suis pas fin connaisseur de l’histoire politique de mon pays. En revanche, j’ai travaillé pour mon pays pendant plus de 10 ans. Je partage l’idée de Youssoufa qu’il faudra revisiter le programme d’Ali Soilihi pour en tirer le meilleur.

  5. Nassur

    Je fais partie des jeunes lycéens qui ont milité jusqu’au bout pour la révolution et je reste convaincu que le pays allait être installé durablement dans le rail du progrès et de la justice sociale. J’ai livré mon analyse et mes observations dans le roman KOSA la faute publié aux éditions Edilivre.
    Je suis d’accord avec Idriss sur 2 choses: Ali Soilihi avait sous-estimé la force de nuisance de la France et avait sur-estimé les capacités d’appropriation d’un peuple qui venait de sortir d’une éducation coloniale.
    Cependant, l’on peut regretter que les progressistes et les révolutionnaires de l’époque n’aient pas pu se saisir des chances offertes par l’histoire pour faire gagner le pays.

    1. Dans mon prochain article qui portera sur « l’échec du FD, je vais aborder la question vous soulevez à juste titre sur le positionnement de l’ASEC, Msomo wa Nyumeni, les ancêtres du FD, sur la « révolution Ali Soilihi ».
      Je partage votre analyse sur la capacité de nuisance de la France mais il me semble que le plus important, ce qui a joué un rôle essentiel c’est la pratique d’Ali Soilihi, un mongozi qui décidait seul, qui ne prenait pas appui sur les masses par le biais d’organisations mais qui croyait pouvoir utiliser la cravache pour faire progresser le pays. Il faut tenir compte qu’il a éliminé violemment tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre. Même Salim Himidi qui avait une vraie culture révolutionnaire et qui s’est fait mettre à la touche pour avoir exprimé des avis différents du Mongozi.
      PS : Je ne connaissais pas le livre KOSA, j’ai cherché sur le Net et c’est là que j’ai compris que c’est DINI NASSUR l’auteur du livre qui est aussi l’auteur du commentaire. Je tenais à te remercier pour ta contribution et je vais lire ton livre

  6. Youssoufa

    J’en faisais parti du F.D.et j’en suis fier mais je me demande si le F.D.ferait mieux ou bien qu’Ali Soilih?il a eu certes des erreurs monumentales mais avec le recul je me demande si c’est pas le pays qui a tout perdu.il a perdu cher sa peau pour sa nation qu’il a tant aimé et servi.Il a osé des réformes qu’aucun n’a osé jusqu’à maintenant.Qui a fait mieux que lui malgré ces échecs?(la decentralisation,agriculture/péche,le grand mariage etc…)tout le monde avait sa place sans renier son côté dictat,il a fait plus que ces successeurs dans un laps de tps.il va falloir revisiter son programme pour en tirer les meilleurs.
    Je m’inscris dans le club par amour de la patrie,aussi parce que je fais confiance au porteur du projet puisqu’il est,un des rares qui n’a pas vendu son âme au diable.

Répondre à IdrissComores Annuler la réponse