Un départ sous les pires auspices.

Comprendre le processus d’accès à l’indépendance me paraît essentiel pour appréhender le présent et envisager l’avenir. L’année 1975 a été cardinale pour le pays.

Jusqu’à 1973, seuls le MOLINACO (Mouvement de libération nationale des Comores) et le PASOCO (parti socialiste des Comores) et l’ASEC (Association des stagiaires et étudiants Comorien) militaient pour l’indépendance.

La puissance du mouvement vers l’indépendance a rebattu les cartes. Il n’était plus possible de l’affronter. La France choisit alors de mener le pays vers une indépendance formelle comme elle l’avait fait dans des nombreux pays africains. Le gouvernement de l’autonomie interne de l’époque dirigé par le prince Said Ibrahim et son principal lieutenant fut renversé au profit d’Ahmed Abdallah. Le slogan changeait. Du « sans indépendance économique pas d’indépendance politique » du prince on est passe à « l’indépendance dans l’amitié et la collaboration avec la France » d’Ahmed Abdallah.

Résultat des courses, tout le monde était pour l’indépendance sauf le MPM (Mouvement Populaire Maorais) dirigé par Marcel Henry et Bamana. Il niait l’appartenance de Maore aux Comores et militait pour la sécession. Mais tout le monde le sous estima. Pour le pouvoir, les déclarations des autorités françaises sur « …ce qu’a toujours été le seul peuple comorien… » (une déclaration connue de Giscard, alors président de la France) ne laissait aucun doute sur le respect de l’intégrité territoriale du pays. Pour l’opposition, le FNU (Front National Uni) qui regroupait tous les partis et mouvements opposés aux verts, le MPM était de l’opposition, d’autant que Marcel Henry leur avait fait croire que le problème c’était Ahmed Abdallah et non la comorianneté de Maore.

Pour le pouvoir comme pour l’opposition, la question centrale était la présidence. Ahmed Abdallah cherchait à s’imposer comme le président naturel tandis que pour l’opposition, le mot d’ordre était « tout sauf Ahmed Abdallah ». De toute façon il lui était impossible de se choisir un candidat.

On perdit de vue la question de Maore. L’affrontement pour le pouvoir prenait le pas sur tout.

Le MPM put se livrer librement à sa propagande en France pour rallier des barons du gaullisme (Messmer, Debré, etc.) accrochés aux confettis de l’empire et obtenir le soutien d’activistes de l’extrême droite française. C’est ainsi que le parlement français dominé par les gaullistes rejeta la proposition de loi de l’exécutif giscardien et imposa un processus d’accès à l’indépendance île par île.

Si Ahmed Abdallah pris conscience du danger de balkanisation et se lança dans un combat désespéré contre cette loi « inacceptable, inapplicable », l’opposition, Ali Soilihi en tête, n’y vit qu’une manipulation. Elle accepta même de servir comme bras armé de la France pour punir Ahmed Abdallah qui a osé déclarer l’indépendance unilatérale.

Ce fut le coup d’État du 3 août 1975 qui plaça Ali Soilihi au centre de la vie politique comorienne. Un putsch téléguidé de toute évidence par la France. Le nouveau pouvoir dirigé par le prince Djaffar mais dont la réalité se trouvait dans les mains d’Ali Soilihi, chantait les bienfaits de la France éternelle. Le curieux Conseil National de la Révolution, justifiait son coup d’État par la nécessité de sauvegarder les relations franco-comoriennes qu’Ahmed Abdallah avait mis en danger.

Les conséquences sont lourdes et pèsent encore aujourd’hui.
1- au lendemain du putsch, le MPM avec l’aide des troupes françaises installées à Maore chassa l’administration comoriennes et en installa une autre. La séparation devint effective
depuis lors.

2- pour aller cueillir Ahmed Abdallah, barricadé à Ndzuwani, Ali Soilihi eut recours à Bob Denard. Le loup entra dans la bergerie et allait, suivant les intérêts français, assassinait les présidents comoriens et en plaçait d’autres. Notre pays devint un repaire de mercenaires pendant plus de dix ans.

3- les politiques comoriens découvrirent une nouvelle voie pour accéder au pouvoir. Et notre pays devint le pays des coups d’État pendant une vingtaine d’années.

A moins d’un mois de sa naissance, le putsch du 3 août 1975 se perçoit comme un coup de massue sur la tête. L’indépendance prit un départ calamiteux.

Reste à examiner la 1ère république, celle d’Ali Soilihi, celle dite révolutionnaire pour en mesurer l’impact sur les premiers pas de l’indépendance.

Idriss (25/02/2021)

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Cet article a 4 commentaires

  1. na.i.mane

    Bonjour,

    Il est important en effet d’examiner le passé pour mieux éclairer l’avenir. L’histoire des Comores est plus spéculée (hari hari) qu’étudiée aux Comores.

    Après lecture, je constate qu’à l’aube de notre indépendance, nous n’avions pas de vision commune mais plutôt des intérêts plus ou moins personnels à satisfaire. Ce qui a favorisé la division de notre nation au fil des années et cela se ressent encore à ce jour.
    L’unicité des Comores fut donc un échec. Etant conscients que sans base commune et solide il y aura toujours divergence et donc anarchie, comment faire pour y remédier ?

  2. Idrisse Ahmed

    Merci pour votre réponse. Je vous enverrai pas certainement sur le cas d’Ali Soilihi. Je n’étais encore né et ce qu’on apprend à l’école comme histoire est superficiel. C’est en lisant de gauche et à droite des articles qui se contredisent le plus souvent qu’on arrive à comprendre un peu sur ce qui s’est passé. Du coup fouiller sur l’histoire nous permettra peut-être d’appréhender le présent et l’avenir.
    En tout cas, certainement c’est par un débat constructif et l’éducation de masse qu’on y arrivera.

  3. Idrisse Ahmed

    Ali Soilihi avec sa révolution avait une vision que nous jeune d’aujourd’hui disons qu’il connaissait mieux son peuple et son pays que les autres. La mentalité reste encore aujourd’hui un handicap pour l’épanouissement de ce pays.
    Les raisons qui ont poussé Ali Soilihi à faire le coup d’état juste après l’indépendance selon d’autres sources sont complètement différentes de ce que vous évoquez dans cette article. Toutefois je crois que s’il n’était pas assassiné l’histoire nous mettrait tous d’accord…. Mais comme il n’est pas arrivé au bout de son programme, les conséquences sont bien sûr lourdes.

    Mais le retour d’Ahmed Abdallah a fait quoi de plus qu’on peut se réjouir ? Les autres qu’ils l’ont succédés… ?! Pas vraiment grandes choses pour un état jeune avec une population de moins 1millions d’habitants.
    Le pays a besoin d’une révolution de mentalité car les déboires des gouvernements qui se succèdent n’ont comme origine que cette mentalité… le comorien s’adapte à toujours et ne se révolte pas pour demander le strict minimum pour vivre dignement.

    Pour finir je pense que c’est l’impact du coup d’État que nous devons mesurer et non de la révolution. Qui reste pour nous qui n’étions pas nés de dire merci pour le pas qu’il avait voulu instaurer.

    1. Bonjour,
      Merci pour votre commentaire très intéressant.
      Je crois que nous devons tenter d’examiner le passé en essayant d’aller au plus prêt possible des faits. Dans mon article, je n’ai pas encore parlé de l’expérience du pouvoir « révolutionnaire ». Cela viendra et nous pourrons en débattre largement, j’espère avec le calme qui permettra aux échanges d’être constructif. L’article se propose de situer le contexte politique de l’indépendance et du coup d’Etat.
      La problématique porte sur le putsch du 3 août : téléguidé par la France ou pas ? C’est évident.
      Ali Soilihi a-t-il voulu tirer parti des contradictions entre la France et Ahmed Abdallah pour accéder au pouvoir et mener ensuite sa propre politique ? On peut le penser.
      Mais l’important se trouve dans les conséquences du putsch. C’est ce que je propose que nous évaluons ensemble. :
      – Maore a pris le large le lendemain du pusch. La France et ses affidés Maorais ont pris prétexte des « troubles » qu’ils ont eux même créé pour chasser l’administration comorienne et mettre en place une autre. C’est un fait aux conséquences très lourdes
      – Bob Denard a mis son pied aux Comores pour la première fois. C’est un fait aux conséquences très lourdes
      – le pays a découvert la voir du putsch pour accéder au pouvoir. C’est une estimation subjective qui vaut ce qu’il vaut.
      L’analyse de la période « révolutionnaire » viendra, mythe ou réalité ?
      Il faut bien comprendre que notre objectif est de tirer des enseignements du passé pour éclairer la « révolution » que nous souhaitons !
      Merci pour votre contribution.
      Si vous voulez écrire un article complet sur la question, faites le, envoyez le moi et je le publierai in extenso s’il n’y a pas d’insultes grossiers

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